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Le modèle urbain américain confronté au modèle urbain parisien : deux approches métropolitaines

Par MyNight (BF), le 12/05/2007 à 12:15

A l’heure actuelle, la plupart des acteurs de l’aménagement du territoire reconnaissent que l’étalement urbain pose un grave problème environnemental. En France, ce phénomène touche toutes les unités urbaines, mais devient plus pressant notamment pour l’agglomération parisienne. Quels en sont les enjeux ? Une comparaison avec le modèle de développement des villes nord-américaines peut s'avérer éclairante pour en comprendre les travers et les spécificités.

Un étalement par choix ou par nécessité ? le modèle nord-américain

L’étalement peut être culturel et revendiqué, comme c’est le cas en Amérique du Nord : par exemple, l’aire métropolitaine montréalaise pèse 3,4 millions d’habitants sur 4 360 km², à comparer avec l’unité urbaine parisienne et ses 9,6 millions d’habitants sur 2 723 km². La conformation urbaine des villes d’Amérique du Nord ne se fonde pas sur les mêmes enjeux que le système urbain parisien. Dans le premier cas, l’espace n’est pas compté, et les villes américaines sont récentes, fondées par des vagues coloniales européennes successives, qui exportent en quelque sorte leur modèle urbain. Les villes fondées par les Anglais sont des ports maritimes à vocation commerciale et économique. Les villes de la côte est sont bâties autour d’un vaste parc et de l’hôtel de ville. C’est en 1785 que l’on ordonnance ces villes selon un plan orthogonal (le Land Ordinance Act), créant ainsi des îlots (blocks). Durant la révolution industrielle, une vaste politique d’aménagement de zones portuaires, d’industrialisation le long des cours d’eau, et d’aménagement de canaux, permet d’attirer de la main d’œuvre nombreuse, et de mettre en réseau les villes de la côte est. Une vague d’immigration sans précédent, en provenance d’Europe, conforme la ville en îlots de plus en plus éloignés du centre, dans des logements de très mauvaise qualité. Les communes voisines sont annexées et connectées à la ville-centre.

Au premier tiers du XXe siècle, l’essor de l’automobile, des transports en commun par voie ferrée, pousse les classes moyennes à quitter les centres urbains qui sont alors considérés comme invivables et industrieux. Dans les années 50, le phénomène s’accentue encore par l’apparition des réseaux autoroutiers. Cet étalement toujours plus important des banlieues (suburbs), connu sous le nom de sprawl, va ruiner les centre-villes, car les rentrées d’argent ne seront plus suffisantes, ce qui poussera les municipalités centrales, dans les années 70, à réaménager leurs villes pour attirer de nouveau des habitants.

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La croissance de la ville par le modèle de Burgess
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Les travers de l'urbanisation à l'américaine


Tandis que les centres sont dévolus au commerce puis au tertiaire, sous la forme d’un urbanisme vertical très reconnaissable – les downtowns ou Central Business Districts – l’organisation globale de la ville se mesure en strates successives autour de ce centre. On y trouve les quartiers dits intermédiaires partagés entre industries plus ou moins déshéritées, lofts, ghettos et habitat pour classe moyenne, et suburbs, quartiers essentiellement pavillonnaires sur des kilomètres carrés.

Le paysage pavillonnaire à l’américaine est la principale constituante des villes américaines. On y trouve des relais commerciaux, des équipements de service, des zones industrielles, qui n’induisent pourtant pas de polycentrisme stricto sensu. Cet étalement se produit au détriment des zones rurales, qui sont urbanisées progressivement au fur et à mesure de l’aménagement des autoroutes. Du fait que le centre des USA est une réserve agricole à la surface quasi inépuisable, les villes n’ont pas la même économie de l’espace qu’en France.


Ce modèle urbain est actuellement en difficulté : la spécialisation industrielle, touchée parfois de plein fouet par la crise, la difficulté à aménager un territoire très étendu et peu dense, le relatif manque de rentrées fiscales dans les centres, ont perpétré de nombreuses crises urbaines entraînant une paupérisation sévère des quartiers centraux et une désertion progressive des centres. D’autre part, les franges urbanisées souffrent souvent d’un manque d’équipement, de pollution due à la nécessaire utilisation de l’automobile, de saturation des voies de communication, et de destruction irraisonnée des paysages naturels. Ce phénomène peut être accentué par les réseaux de villes qui désormais forment un ensemble mégapolitain (sur la côte est, de Boston à Baltimore en passant par Philadelphie, New York et Washington, sur la côte ouest de San Diego à San Francisco en passant par Los Angeles, ou au bord des grands lacs.)

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Le modèle de Burgess appliqué à Chicago
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L'urbanisme parisien : une autre voie induite par une histoire plus ancienne

Paris, pour des raisons historiques, n’a pas suivi ce modèle d’expansion urbaine.

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Modèle de Burgess adapté à Paris. Les zones I et II sont pratiquement indistinctes si ce n'est par la zone du périphérique

Il faut tout d’abord penser que Paris montre des traces d’occupation humaine depuis au moins 40 000 ans (à Bercy, et non sur l’Ile de la Cité comme il est traditionnellement admis). La conformation centrale de Paris, que l’on connaît actuellement, ceinte à l’intérieur de l'actuel périphérique, date des années 1841-1844 d'après la volonté de Louis-Philippe. Cette ultime enceinte de Paris est due à Thiers. On annexera les onze communes périphériques à l’extérieur de l’enceinte des fermiers généraux aux alentours de 1860. Ces fortifications seront détruites en 1919, et resteront des terrains vagues ("la zone") jusque dans les années 30 où on y construira des HBM. Si l’on reconnaît dans cet intra-muros de 105 km² -  88 km² sans les bois de Vincennes et de Boulogne – une structure radioconcentrique, cette ville-centre n’est, à l’inverse des centres villes américains, ni en situation de mono-activité, ni en situation de dépeuplement. Sur ces 88 km², Paris comportait en 1999 2,1 millions d’habitants, pour une densité record de 24 448 hab/km², avec certains quartiers dépassant les 100 000 hab/km².
Dans cette enceinte sont concentrées des fonctions politiques – Paris est une capitale – mais aussi diplomatiques pour la même raison, des fonctions économiques – le plus grand CBD d’Europe est situé dans l’intra-muros, il s’agit du quartier Opéra – des fonctions tertiaires, des fonctions universitaires, des fonctions de transport – six grandes gares – et des fonctions d’habitat et de loisir.

Un noyau central englobé par l'immédiate périphérie


L’agglomération parisienne n’est donc pas organisée en blocs sur un plan en damier, mais a été fédérée par sa ville-centre, très délimitée dans son enceinte, et dont le plan et les fonctions étaient depuis très longtemps et définies, et polymorphes. Paris était, jusque dans les années 1860, une structure autonome, et les faubourgs extérieurs n’étaient guère urbanisés.

Le schéma de développement suit des principales voies de communication fluviales, l’axe de la Seine étant encore aujourd’hui urbanisé en continu sur plus de 100 kilomètres, de Mantes-la-Jolie à Montereau-Fault-Yonne, la Marne, et également les tracés ferroviaires.
Conformément à un système radioconcentrique, l’agglomération parisienne est fondée sur un système de strates successives en pelures d’oignon. La Petite Couronne est urbanisée vers la fin du XIXe siècle, et est inscrite peu ou prou dans les trois départements limitrophes de Paris, les Hauts-de-Seine à l’ouest et au sud-ouest, la Seine-Saint-Denis au nord et au nord-est, et le Val de Marne à l’est et au sud-est. Cette zone particulière est extrêmement dense, dépassant souvent les 10 000 hab/km².

On peut considérer la Petite Couronne comme une extension de Paris centre au-delà de l’enceinte Thiers. On y retrouve les mêmes fonctions que dans l’intra-muros, où peu de quartiers sont en situation de mono-activité, outre le cas particulier de la Défense, qui peut être considérée comme une extension moderne et complémentaire du quartier Opéra.

Une cohésion territoriale du noyau dur plutôt tardive

Parce que la Petite Couronne est constituée d’une constellation de communes, on ne peut y lire un plan d’ensemble véritablement cohérent ; chaque commune est structurée autour de grandes voies de communication, puisque historiquement, la plupart d’entre elles n’étaient que de petites paroisses rurales, ayant été rattrapées par l’industrialisation et, partant, par les crises du logement successives connues par la France. L’essor urbain de la Première Couronne date du lendemain de la seconde guerre mondiale, où une crise du logement sans précédent touche la France de plein fouet. Respectant l’idéologie corbuséenne de la Charte d’Athènes, l’aménagement de nombreux quartiers s’ajoute aux centres-villes séculaires selon des plans qui se veulent rationnels et qui permettent l’habitat de masse. C’est à cette époque également, comme en Amérique du Nord, que se structurent les réseaux autoroutiers. Cependant, l’habitat pavillonnaire n’y est pas prépondérant. Si on peut reconnaître des fonctions urbaines définies et distinctes par communes, ainsi que des profils socio-professionnels qui sont un héritage de cette urbanisation du XIXe siècle – certaines communes sont industrielles, d’autres exclusivement résidentielles, d’autres encore sont dévolues aux transports, aux activités tertiaires, etc. – une lecture globale de ce territoire ne permet pas, comme dans le cas des villes américaines, de définir des aires larges de mono-activité.

Ce n’est que dans le milieu des années 60 qu’un plan de cohésion territoriale est clairement défini, le fameux SDAU, assignant à certaines surfaces des fonctions programmées – zones industrielles, habitat, transports, etc. Dans le réel, il existe une certaine lisibilité territoriale, brouillée par le maillage institutionnel du territoire, chaque commune étant une unité plus ou moins autonome. Dès lors, il est inutile d’essayer de retrouver de grandes zones de congruence entre l’aménagement nord-américain et l’aménagement à la française. La Petite Couronne parisienne est un aménagement urbain spécifique, qui offre un paysage extrêmement urbain et dense, imbriqué profondément à la ville-centre, où on peut considérer que la structure la plus prégnante est un polycentrisme maillé excessivement compact. La Petite Couronne n’est donc pas comparable aux quartiers intermédiaires des métropoles américaines, même si certains effets inhérents à l’habitat de masse mal suturé aux zones d’activité peuvent être ponctuellement similaires (effet de ghettoïsation, paupérisation due aux loyers trop élevés repoussant les classes moyennes sur les franges extérieures, etc.) En 1999, la Petite Couronne comportait 4,03 millions d’habitants.

Cette zone centrale dense, qui est en elle-même une unité cohérente, totalise donc 6,13 millions d’habitants.

Le polycentrisme maillé : une tentative de jugulation des franges en Grande Couronne


La Grande Couronne est un système complémentaire de stratification, où la densité se fait moins forte, et où la consommation du territoire est plus importante. On y trouve des pôles relais structurant le territoire afin de réduire l’éloignement de la ville-centre d’un point de vue fonctionnel, à l’instar des fameuses edge cities que l’on construit, dans les années 70, autour des grandes villes américaines et qui comportent des industries et des services. En France, ces villes nouvelles –Sénart, Marne-la-Vallée, Evry, Cergy-Pontoise et Saint-Quentin en Yvelines – sont bâties pratiquement ex-nihilo sur d’anciennes communes rurales. Ces pôles tentent de fédérer le territoire en proposant des activités tertiaires, universitaires, commerciales ou spécifiques, pour essayer de juguler une urbanisation anarchique et très consommatrice d’espace. On pensait aussi pouvoir limiter les déplacements sur ces franges lointaines – parfois à plus de 40 kilomètres du centre de Paris – en permettant de fixer des activités et des équipements de proximité.

Ce pari n’a souvent pas été gagné, et les problématiques d’éloignement n’ont pu être maîtrisées. D’ailleurs, la dynamique de ces pôles structurants a plutôt entraîné un urbanisme étalé, à dominante pavillonnaire. Enfin, étant donné que les coûts de l’immobilier neuf ou ancien ainsi que des loyers sont de plus en plus importants au fur et à mesure qu’on s’approche du centre de l’agglomération, de nombreuses classes moyennes ont pensé qu’elles pouvaient accéder à la propriété individuelle en s’éloignant de ce centre et en conquérant ces vastes espaces périurbains. Au résultat, on constate un urbanisme de franges très étalé, contrarié par ailleurs par le relief assez accidenté du bassin parisien et donc concentré dans des vallées ou le long de voies de communication ou de cours d’eau, rendant prééminentes les problématiques des transports, des équipements de proximité et de l’environnement. Dans cette Grande Couronne, on retrouve les problématiques des suburbs américaines.

3,4 millions d’habitants occupent cette frange urbaine.

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Modélisation des types de stratification urbaine - D'après Google Maps

Aire urbaine et frontières indéfinies avec le monde rural

Au-delà, la métropole parisienne fédère un très vaste territoire, dit ‘aire urbaine’ – aire comparable aux ‘metro areas’ – concernant encore 1,57 millions d’habitants. Nous ne sommes plus là dans l’optique d’une continuité urbaine, puisque l’aire urbaine parisienne englobe des communes des régions limitrophes (dans l’Aisne, l’Eure, l’Eure-et-Loir, le Loiret, la Marne et l’Oise). L’état de ces communes est d’autant plus préoccupant qu’elles posent là encore la question de l’étalement urbain par l’essor de très vastes zones pavillonnaires favorisées par un coût foncier relativement bas, un confort de vie rurbain, et le mirage du petit îlot de bonheur représenté par le mythe du pavillon individuel.

Le transport collectif en zone peu dense, le mitage des paysages et les lacunes en équipements de proximité sont le corollaire de ces franges très éloignées, parfois à plus de 80 kilomètres du centre. A l’inverse des villes américaines, où l’espace n’est pas compté, la France pourrait à moyen terme souffrir de cette périurbanisation, d’autant que sur une si vaste échelle, les institutions ne possèdent guère d’outil d’action pour fédérer et structurer cette expansion territoriale.

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Cartographie IAURIF

Conclusion : des outils institutionnels à créer pour coller aux strates territoriales

Pour permettre de juguler une expansion urbaine aux enjeux spécifiquement parisiens, il apparaît donc que Paris, en tant qu’aire urbaine de 11,2 millions d’habitants, devrait se doter d’outils institutionnels en parfaite adéquation avec son territoire. L’échelle communale ne semble aujourd’hui plus adaptée à une lecture territoriale cohérente, et voit ses moyens de structuration urbaine fortement limités. L’agglomération parisienne est en effet composée de presque 400 communes. Pourquoi ne pas s’aligner institutionnellement sur ces quatre entités urbaines – Paris centre, Petite Couronne, Grande Couronne, aire urbaine – afin de pouvoir d’une part imbriquer de manière rationnelle ces quatre entités intimement liées au niveau territorial, puis d’autre part de se doter enfin d’outils d’action pour en fédérer l’urbanisation et son étalement, ses transports, ses équipements et ses fonctions de manière efficace non seulement pour l’environnement, mais surtout pour ses habitants ?

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